30.9.11

Rentrée (2)

Après mon humble coup de projecteur sur un sixième roman caché par la masse, attelons-nous à un premier roman.

Comment s'oriente le choix d'un lecteur devant la quantité de livres à sa disposition ? Je ne vais pas faire mon Beigbeder de base en vous proposant mon top 10 des critères de sélection d'un bouquin (selon lui la tronche de l'auteur et sa vie privée importent autant que le texte. Vous me direz, Federico Pellegrini affirmait bien que le style fait 50% de la musique.) mais il y a néanmoins quelques signes avant-coureurs. L'éditeur, le titre du bouquin. L'auteur bien entendu si on le connaît, ce qui n'est pas le cas pour un petit nouveau.

Du coup, j'ai sous la main la bonne pioche : Editions de Minuit, Ma chère Lise. L'auteur, Vincent Almendros.
Inutile de vous servir un pataquès sur Chevillard ou Jean-Philippe Toussaint, mais s'ils sont chez Minuit, c'est qu'il y a une bonne raison : leur écriture. Claire, concise, savante, moderne, classique, furieuse, délicate... Almendros rentre dans la bande sans problème. Et puis ce titre, Ma chère Lise, en le voyant la première fois j'ai tremblé. Bien sûr que je connais une Lise et qu'elle m'est chère, j'aurais tant aimé trouver un titre aussi beau.

Le thème est pourtant relativement classique, un jeune homme de 25 ans dispense des "cours particuliers" à une jeune demoiselle de 16 ans, Lise, donc. Par "cours particuliers", on ne sait pas vraiment de quoi il s'agit exactement et c'est là que les ambiguïtés apparaissent. Que se passe-t-il entre ces deux personnages ? Idylle partagée ? Fixation du narrateur sur une adolescente qui joue avec ses nerfs et ses sentiments ? Ou bien la classe sociale favorisée de Lise (son père est un grand industriel, leur triplex parisien et leur maison secondaire tranchent avec le studio minable du narrateur) est-elle plus intéressante que son physique assez banal ?

Une écriture délicate, joueuse, elliptique... La pression monte au fur et à mesure et il nous arrive d'angoisser dès que Lise sort du champ de vision du narrateur ; disparition, fugue, enlèvement ? On pense à Robbe-Grillet (Minuit, toujours) parfois, nous faisant passer des lanternes pour des vessies.

Et puis, la dernière phrase du livre, indispensable, cruciale, inoubliable. On se souvient de Brautigan voulant terminer un livre par le mot "mayonnaise", Almendros fait plus fort, mais je ne vous en dis pas plus...



15.9.11

Rentrée (1)

Allez, c'est de saison. La rentrée des livres (n'utilisons pas le terme « littéraire » à mauvais escient) bat son plein, tout le monde s'en tape à part le milieu concerné, Murakami, Franzen et Carrère se battent pour la première place dans les ventes et nous font oublier doucement Nothomb qui se contente d'un top 10. Bon, maintenant, parlons d'un livre qui passera inaperçu, si vous le voulez bien.
Il n'est pas nécessaire d'être édité par une mini maison d'édition alternative tendance baba-cool-utopistes-debout pour être ignoré et phagocyté par les blockbusters. Un livre publié par Gallimard, dans la « Blanche », s'il n'est pas un premier roman (on s'intéresse toujours aux premiers romans, dans l'espoir de voir surgir un grand écrivain, sans savoir qu'un grand écrivain le devient quand il a grandi), peut aussi bien n'être lu par quasiment personne.
Benjamin Berton publie en cette rentrée son sixième roman. « Benjamin qui ? » Vous voyez ! Pourtant, il a obtenu le Goncourt du premier roman il y a de cela quelques années, mais s'il ne passe pas tous les ans dans « On n'est pas couché ! », comment voulez-vous que l'on s'endorme en pensant à lui ? D'autant plus que la mémoire se construit pendant le sommeil. De sommeil, il en est question dans La Chambre à remonter le temps, puisque le narrateur, presque quarantenaire empêtré dans une vie de couple plan-plan avec un enfant et un crédit à vie pour la maison qu'il a acheté au Mans, aime à s'enfermer dans une chambre de sa maison qui a la particularité de le faire voyager dans le temps, tout simplement. Il rentre, y fait un petit somme, et ressort un peu avant ou un peu après. Les sauts dans le temps ne dépassant pas quelques mois. Comme il a une vie de tout un chacun – TGV/boulot/dodo – et que toutes ses journées se ressemblent, le fait de louper deux mois de sa vie n'est pas si important que ça, d'autant plus que son « ectoplasme » qui reste sur la ligne normale du temps s'occupe de faire le boulot à sa place. D'abord par pure expérimentation, ses voyages deviennent nécessaires pour échapper à sa vie morose. Se construit alors un récit diablement bien mené, à cheval entre Jules Verne, Maupassant et Houellebecq (non, je n'ai pas honte de mes propos). Attaquer un pendant SF dans un roman contemporain pourrait être super casse-gueule mais la petite pirouette à la fin du livre joue avec les nerfs du lecteur et fait de ce bouquin une petite chose précieuse. Malheureusement, l'éditeur n'a pas mis toutes les chances du côté du livre en lui collant un bandeau indiquant "Une histoire vraie", n'ayant pas compris que l'autofiction ne faisait plus vendre depuis un petit moment déjà...

Benjamin Berton, La Chambre à remonter le temps, Gallimard.


Dans l'extrait ci-dessous, le narrateur parle d'une fille qui prend souvent le même train que le sien pour se rendre à Paris.