16.8.11

Archive : mai 2009

Mes nuits. Mes nuits n’ont plus rien à t’envier. Et moi ? Moi…
Je les laisse me couler dessus comme une rivière d’amertume. Et les carpes ? Les carpes…
Muettes à leur tour, je tente vainement d’en attraper une au passage. Elles me filent entre les doigts. Et toi ? Et toi…
Tu ne m’écris plus, tu ne me parles plus. Tu m’as fait un petit paquet quand je suis parti. Et dedans ? Et dedans.
Tes insomnies. Une offrande à cœur ouvert. C’est adorable, il ne fallait pas.

Mes nuits n’ont plus rien à t’envier. Tu me filais entre les doigts comme un sablier qui se vide indéfiniment. Et la pluie ? Et la pluie.
Comme les nuages, elle a eu raison de moi. Elle m’a dit « Pars ! Pars avant que le sablier ne soit totalement vide ! » Et la Lune ? Et la Lune.
Son clin d’œil, l’air de dire « Oui, petit bonhomme, il serait temps de retourner le sablier. »

Mes nuits s’agrippent à mes cheveux et me projettent sur les murs de l’appartement. Et moi ? Et moi.
Je me réveille terrorisé. Je ne dors pas mais je me réveille toutes les heures, chaque fois plus lucide, chaque fois persuadé que ce sera la dernière. Et le marchand de sable ? Le marchand de sable.
Qui frappe à la porte. Et frappe encore et si fort. Ma chambre un coffre-fort, un château-fort. Et les clés ? Les clés.
Tu les as gardées.

Mes nuits sont verrouillées, il m’est impossible d’en sortir, les draps n’ont retenu que toi. Et les autres ? Et les autres.
Enfuies, par les interstices. Ma tête saigne et le mur vacille doucement. Et nous ? Et nous.
N’avions pas choisi de nous en prendre physiquement. Ne nous éprendre oui, de nous en prendre, non. Et toi ? Et toi.
Si tu m’apprenais à danser. Là, oui. Si tu m’apprenais à danser.
Si tu m’apprenais à danser.
Si tu m’apprenais à danser.


J'ai pensé à ce vieux texte en écoutant une nouvelle chanson de Mansfield.TYA hautement recommandable. 



7.8.11

La mort au bout de la lecture

Retournons dans le sillage de l'oeuvre de Baudoin, prénom Edmond, si vous le voulez bien.
Depuis Amatlan, paru à L'Association en 2009 (dont je parlais ici), il avait fourni quelques livres d'ordre mineur par rapport au reste de sa production. Des livres honnêtes tout de même (Peau d'âne, Gallimard), ou amputés du verbe de Baudoin dans des collaborations non indispensables (Le Marchand d'éponges, avec Fred Vargas, Librio / Le parfum des olives, avec Hugues Baudoin, 6 pieds sous terre), qui séduisaient toujours autant par le dessin unique qu'on lui connaît mais n'accrochaient pas les sentiments autant que bien d'autres de ses livres monstrueux (à plusieurs échelles).

Le voilà de retour dans une autre collaboration, cette fois-ci c'est Bénédicte Heim au texte. Un texte pré-existant à la conception de ce roman illustré, d'avantage que bande dessinée. Baudoin s'immisce dans cette histoire entre Aude, une jeune femme étudiante, et un enfant d'une dizaine d'années à peine. Enfant turbulent, hyper-actif, Corentin terrifie ses parents qui le voient à la fois comme un surdoué et l'incarnation du diable. Après avoir renvoyé la nounou précédente surprise nue en séance de cunnilingus avec l'enfant, les parents recrutent Aude qui ne s'attend pas à ce que sa vie soit bouleversée par cet enfant.

Différents thèmes récurrents des livres de Baudoin sont présents ici, l'amour entre un jeune garçon et une femme mure, les rapports entre artiste et muse, les séances de pose, de dessin, d'admiration. Et toujours, un amour impossible, indicible, au regard des règles de la société, mais inévitable quand l'on écoute la musique des corps.

Un sujet on ne peut plus tabou raconté par Bénédicte Heim avec pudeur et cruauté, et illustré par Baudoin de façon magistrale. Texte et dessin se nourrissent l'un, l'autre, et forment un livre époustouflant, qui retourne l'estomac et restera longtemps dans les veines.


Tu ne mourras pas, Bénédicte Heim et Edmond Baudoin, Les Contrebandiers.